La valeur pédagogique de l’espéranto

Tiré et adapté de l’article « Valeur propédeutique de l’espéranto » de Jean MARIN, diffusé par le Groupe des enseignants espérantophones.

La valeur pédagogique de l’espéranto concerne les aptitudes et les qualités intellectuelles suivantes : la mémoire, l’esprit d’observation, l’esprit d’analyse, l’esprit de synthèse, le raisonnement, la logique, la créativité, l’approfondissement de la langue maternelle et la formation morale.

1. La mémoire

La mémoire est sollicitée, comme dans tout apprentissage. Mais, libérée par la logique, n’étant plus occupée à emmagasiner des règles d’usage, son usage modéré se révèlera d’une efficacité insoupçonnée :

  • l’apprentissage de chaque racine permettant, par exemple, la fabrication de 20 ou 30 mots nouveaux par le jeu des affixes (préfixes & suffixes) et des mots composés.
  • l’étude de 5 terminaisons verbales (as, isosusu) permettant de conjuguer tous les verbes, à toutes les personnes et à tous les temps simples de l’indicatif, de l’impératif et du conditionnel.

2. L’esprit d’observation

L’esprit d’observation permettra à l’élève de découvrir par lui-même l’essentiel des règles grammaticales.

Exemple :  Les terminaisons des mots signent leur nature :
o pour les noms, a pour les adjectifs, e pour les adverbes, i pour les verbes, j pour le pluriel, n pour les compléments, etc.
L’élève ne pourra pas ne pas les voir !

3. L’esprit d’analyse

Chaque mot, en espéranto, comporte, clairement lisibles, sa nature et sa fonction, son sens et sa propre définition (comme en chinois). Ce qui a pour résultat que le sens des mots, même anciens ou relativement peu utilisés et connus (y compris dans notre propre langue maternelle), devient, en espéranto, immédiatement clair et compréhensible.

Exemple :

FrançaisAnglaisEspéranto
destriersteedbatalĉevalo
palefroypalefreyparadĉevalo
haquenéehackneydamĉevalo
* Alors que, pas plus en français qu’en anglais, le mot ne nous renseigne sur ce que le cheval a de particulier, même quelqu’un qui n’a jamais appris l’espéranto comprend tout de suite que le premier est un cheval de bataille, le second un cheval de parade et que le troisième est réservé aux dames.

4. L’esprit de synthèse

Alors que c’est dans la version que s’exerceront surtout l’esprit d’analyse (des éléments du mot espéranto et de leur sens) et la recherche du mot français précis et équivalent (palefroidestrier, etc.), dans le thème, ce sont les deux démarches qui vont devoir être utilisées : analyse et synthèse.

Exemple : Traduire le mot « condisciple » en espéranto.

Analyse : Qu’est-ce qu’un condisciple ? – C’est une personne qui a étudié avec (en même temps et au même endroit).

Traductions possibles :
1 – kunlernanto (avec + élève)
2 – kunstudento (avec + étudiant)
3 – samlernejano (même + école + membre)
4 – samkolegiano (même + collège + membre)
5 – samliceano (même + lycée + membre)
6 – samuniversitatano (même + université + membre)

Seul le n° 1 kunlernanto figure au dictionnaire espéranto. Les cinq autres ont été créés pour rendre une précision ou une nuance supplémentaire. D’autres encore pourraient être créés. Tous sont parfaitement corrects et compréhensibles. Il restera encore à choisir ou à construire le mot qui s’insèrera le mieux dans le contexte (synthèse).

On voit le nombre et la variété de démarches intellectuelles qu’entraine la traduction d’un seul mot en espéranto. Somme d’activités intellectuelles sans aucune mesure avec ce qu’aurait été, dans une autre langue, l’inévitable recours au dictionnaire.

5. Le raisonnement et la logique

Les quelques exemples précédents montrent clairement combien toutes ces activités intellectuelles sont exercées dans l’étude de l’espéranto ; on pourrait multiplier les exemples.

6. La créativité

L’espéranto est sans doute une des rares langues où le vocabulaire potentiel est plus important que celui existant dans les dictionnaires, même les plus complets.

Par « vocabulaire potentiel » il faut comprendre les milliers de mots que tout usager de l’espéranto peut créer à partir de quelques centaines de racines et une trentaine de préfixes, suffixes et terminaisons grammaticales, même si ces mots n’ont jamais été utilisés auparavant.

Un nombre quasiment infini de mots peut ainsi être créé en espéranto, dont beaucoup n’ont aucun équivalent (par exemple en français), bien que leur signification soit parfaitement claire pour tout interlocuteur, quels que soient son pays et sa langue maternelle.

Créateur de mots, l’utilisateur de l’espéranto est aussi créateur de concepts, car un concept nouveau a besoin de s’incarner dans un mot pour vivre et perdurer.

Fait capital, cette créativité n’est pas réservée aux poètes ou aux techniciens de pointe pour répondre à la sensibilité des premiers et à la précision rigoureuse des seconds ; elle est à la portée de tous.

Combien de langues offrent à leurs utilisateurs la possibilité de créer autant de mots que leur sens des nuances et de la précision ou le caractère original de leur pensée et de leur sensibilité peut exiger ?

Exemples : Le mot « condisciple » nous en a déjà donné un aperçu :
6 mots nouveaux, 6 mots créés pour 1 seul mot déjà existant (au dictionnaire)… et, de plus, 6 nuances nouvelles aussi évocatrices qu’immédiatement et aisément compréhensibles.

En voici quelques autres qui nous montreront clairement tout ce que l’espéranto doit à ses structures isolantes et agglutinantes « à la chinoise » :

EspérantoChinoisFrançais
sam-land-ano
même + pays + membre
tong-guo-ren
même + pays + membre
com-patriote
sam-relegi-ano
même + religion + membre
tong-jia-ano
même + pays + membre
co-religionnaire

Sur le même modèle, une multitude d’autres mots peuvent être créés pour lesquels il n’existe, souvent, aucun équivalent en français. En voici quelques-uns avec :

ThèmeEspérantoFrançais
Villesam-urb-ano?
Villagesam-vilaĝ-ano?
Chambresam-ĉambr-ano?
Professionsam-profesi-ano? (collègue)
Tablesam-tabl-ano? (convive)
Partisam-parti-ano?
Clubsam-klub-ano?
Provincesam-provinc-ano?
Quartiersam-kvartal-ano?
Régionsam-region-ano?
* ĉ se prononce tch, ĝ se prononce dj

Ces quelques exemples permettent de mieux comprendre :

  • combien, en espéranto, il est aisé de fabriquer des mots précis et parfaitement clairs ;
  • combien, en français, ces mots sont difficiles à trouver… et souvent même inexistants.

7. L’approfondissement de la langue maternelle

Les quelques exemples précédents montrent de façon évidente combien l’étude de l’espéranto peut contribuer à une meilleure connaissance des langues, y compris la langue maternelle (le français), à la fois :

  • par l’enrichissement du vocabulaire français :
    simio = singe, offre très facilement l’accès à un mot recherché : simia = simiesque ;
  • et par une meilleure compréhension de la grammaire française :
    par exemple, par la mise en évidence des multiples natures et fonctions qui sont celles d’un petit mot aussi banal que… « que », tantôt conjonction (cause, but, etc.), tantôt pronom relatif (singulier ou pluriel, sujet ou complément), tantôt adverbe, et par suite chaque fois traduit en espéranto par un mot différent, mettant ainsi clairement en évidence sa nature et sa fonction, et permettant ainsi une compréhension et une analyse grammaticale juste ou précise et immédiate (que = kekiukiunkiujkiomkielkialol, etc.).

8. La formation morale

Les évènements, tant en ex-Yougoslavie qu’au Rwanda, en Irlande du Nord qu’en Tchétchénie et en plus de cent lieux dans le monde, où guerres, violences, tortures, déportations et massacres ensanglantent notre planète, montrent quels sont les ravages des nationalismes exacerbés.

Racisme, intégrisme, nationalisme : trois formes d’une même perversion.

Il devient de plus en plus indispensable et urgent de trouver des antidotes à ces poisons mortels. Ces antidotes existent ; ils ont pour nom : tolérance, acceptation et respect des différences, sentiment d’appartenance à une communauté humaine plus vaste et plus généreuse que les catégories étroites et refermées sur elles-mêmes des races, des religions et des nationalismes.

L’espéranto est né de cette volonté d’unir les hommes dans un idéal humaniste de respect et de tolérance en leur permettant de communiquer et de se comprendre.

C’est cet idéal qui a permis à l’espéranto de survivre à toutes les guerres, à toutes les persécutions et à toutes les dictatures ; des dizaines de milliers d’espérantistes sont morts dans des camps soviétiques et nazis, payant de leur vie l’idéal qu’ils avaient trouvé dans l’espéranto.

Quiconque apprend l’espéranto s’imprègne de cet idéal et il va le vivre dans chaque rencontre internationale où il va côtoyer des hommes et des femmes de toutes races, de toutes religions et de tous pays, et se lier d’amitié avec eux.

Ce qui ne retire rien de l’amour vrai qu’il peut porter à son propre pays, au contraire.

L’espérantophone ne se proclame pas internationaliste ; il met ses idées en application, il les vit dans le quotidien de ses amitiés et de ses collaborations par delà les frontières.

Nulle autre langue n’est porteuse, à un tel niveau d’intensité, de ces valeurs, valeurs tout à fait compatibles avec la défense des langues et des cultures régionales et minoritaires, menacées d’extinction par l’impérialisme destructeur des langues dominantes.

L’espéranto apparait comme la seule langue qui non seulement ouvre sur toutes les cultures et les peuples du monde, mais peut faire de celui qui l’étudie et l’utilise un véritable citoyen du monde plus à même de vivre au mieux la mondialisation inévitable.